Les BSA AIR, nouvelle façon de lever de l'argent rapidement

Chronique écrite par Clémentine Grasset et Nicolas Bécourt, Etudiants en dernière année à l'EDHEC Business School, LLM Law & Tax Management sur les souscription de BSA-AIR.

Selon le cabinet EY, les start-up françaises ont levé, au premier semestre 2018, près de deux milliards d'euros, soit 60% de plus qu'au premier semestre 2017(1). Une question se pose : quels sont les moyens de financement des start-up?

Pour répondre à cette question, il faut d'abord appréhender à quel niveau de vie se situe la start-up afin de mettre en place l'outil juridique le plus attrayant et adéquat. En phase d'early stage ou d'amorçage, effectuer une valorisation de l'entreprise est une opération complexe, difficile et sujette à beaucoup de débats.

Effectivement, comment valoriser avec exactitude une entreprise susceptible d'effectuer à l'avenir d'autres levées de fonds pouvant faire significativement varier sa valorisation actuelle ? Par ailleurs, les start-up ne veulent pas perdre de temps et de l'argent à négocier une documentation juridique chronophage. Dans cette hypothèse, les outils juridiques traditionnels tels que l'augmentation de capital, l'émission d'obligations convertibles et le financement par la dette semblent inappropriés et ne coïncident pas avec les intérêts de la start-up à ce stade, à savoir lever des fonds de manière rapide, économe et indolore en supprimant les facteurs d'inerties.

Pour répondre à la demande des start-up et les encourager dans leur innovation, The Family – une société privée d'investissement accompagnant les start-up – et le cabinet d'avocats SB Avocats ont lancé un nouveau modèle d'investissement s'appuyant sur des bons de souscription d'actions spécifiques intitulés « BSA-AIR » (AIR étant l'acronyme d'« Accord d'Investissement Rapide ») en décembre 2013, en s'inspirant du modèle Simple Agreement For Future Equity, conçu par l'accélérateur américain Y Combinator.

En quoi consistent les BSA-AIR ?

Les BSA-AIR sont des valeurs mobilières donnant accès de manière différée au capital social de l'entreprise. Ces bons se rapprochent du mécanisme des BSA-Ratchet, avec la particularité de valoriser les bons eux-mêmes plutôt que les actions auxquels ils donnent droit. L'idée est la suivante : en phase d'amorçage, une start-up souhaite lever des fonds sans avoir à effectuer une valorisation de l'entreprise.

Elle va donc émettre un (ou plusieurs) BSA-AIR donnant le droit de souscrire à un nombre variable d'actions à valeur nominale, conditionné à la réalisation d'un événement ultérieur tel que : un nouveau tour de financement, un niveau de chiffre d'affaires ou de liquidité suffisant pour réaliser une première valorisation de la société.

Par exemple, Paul, un investisseur, injecte un ticket de 10 000 euros dans une start-up. En échange, cette dernière émet un BSA-AIR à son profit dont le prix de souscription est de 10 000 euros. Toutefois, Paul ne sera pas directement actionnaire de la société. En effet, il ne sera détenteur des actions qu'à la survenance d'un événement ultérieur tel qu'une seconde levée de fonds. Ce n'est donc ni de la dette, ni du capital, mais du quasi-equity.

Les BSA-AIR sont considérés comme des outils juridiques flexibles et ajustables en fonction des attentes des start-up et des investisseurs. Les deux parties se mettent d'accord à l'avance sur (I) la qualification de l'événement ultérieur, (II) la durée de l'exercice des BSA-AIR, (III) le taux de décote, (IV) la potentielle mise en place d'un cap et d'un floor pour encadrer la valorisation de l'entreprise et (V) la cessibilité ou non des BSA-AIR.

Quels sont les avantages de ce mécanisme ?

Pour les investisseurs

L'émission de BSA-AIR par une start-up n'étant pas soumis à la valorisation immédiate de celle-ci, ce mécanisme est bien plus rapide à négocier entre les parties que, notamment, l'émission d'obligations convertibles, ce qui attire plus facilement les investisseurs.

Lors de la survenance de l'événement ultérieur, un taux de décote sera appliqué à la valorisation alors faite de la start-up. Selon Sacha Benichou, inventeur des BSA-AIR et associé du cabinet SB Avocats, « la décote, qui s'applique sur la valorisation retenue au moment de l'événement déclencheur, permet de déterminer rétrospectivement la valorisation d'entrée des investisseurs en AIR ». L'investisseur pourra aussi encadrer la valorisation de la start-up par la mise en place d'un « tunnel » de valorisation en définissant une valorisation plancher (floor) et une valorisation plafond (cap). à ce moment-là, l'investisseur pourra enfin appréhender le nombre d'actions dont il sera le bénéficiaire. Par le taux de décote et la mise en place d'un floor et d'un cap, l'investisseur pourra définir les termes de souscription des futures actions.

Cela permet d'éviter deux risques : (I) anticiper une éventuelle trop forte dilution de l'actionnariat si l'entreprise prend plus de valeur que prévu en prévoyant un cap. Par exemple, si la start-up a été valorisée à 10 millions d'euros et que suite à la survenance ultérieure, elle est alors valorisée à 30 millions d'euros, la mise en place d'un cap permet d'éviter d'acquérir trop de parts de l'entreprise ; (II) à l'inverse si l'entreprise n'est au final valorisée qu'à 5 millions d'euros, la mise en place d'un floor permet de couvrir ses risques en cas de valorisation plus faible. Ainsi, si la valorisation ultérieure est supérieure au cap fixé antérieurement, l'investisseur prendra la valorisation-plafond. En revanche, si la valorisation ultérieure est inférieure au floor fixé antérieurement, l'investisseur bénéficiera d'un nombre d'actions correspondant au montant de la valorisation-plancher.

Enfin, le législateur a prévu un dispositif qui protège les investisseurs n'étant pas encore actionnaires de la société. En effet, les investisseurs ne devenant actionnaires de la start-up qu'au moment de la survenance de l'événement ultérieur, ceux-ci deviennent juridiquement des titulaires de valeurs mobilières donnant accès de manière différée au capital de la société. Le code de commerce, dans ses articles L.228-98 et suivants, protège ces titulaires en prévoyant toute une série de règles dans le cas où la start-up effectuerait certaines opérations, par exemple l'émission de nouveaux titres de capital avec un droit préférentiel de souscription réservé aux actionnaires, la distribution de réserves ou la création d'actions de préférence. L'accord d'investissement rapide négocié librement entre les parties vient compléter ce dispositif légal.

Pour les fondateurs de la start-up

Les fondateurs ne souhaitant pas perdre de temps dans des formalités pour continuer à développer leur activité utilisent le mécanisme des BSA-AIR afin d'obtenir rapidement de la trésorerie. Ainsi, la documentation juridique relative à la valorisation de l'entreprise et la rédaction du pacte d'actionnaires sont repoussées jusqu'à la survenance de l'événement ultérieur.

Les conditions d'exercice des BSA-AIR sont très libres, notamment en ce qui concerne leur cessibilité. Par définition, les BSA-AIR sont des valeurs mobilières cessibles mais il est possible pour les fondateurs d'organiser leur incessibilité par voie statutaire notamment au moment de leur émission. L'intérêt de l'incessibilité est de permettre aux fondateurs de choisir leurs investisseurs, tout en évitant de voir les BSA-AIR circuler de main en main sans pouvoir en contrôler les bénéficiaires.

Exemple concret du calcul des BSA-AIR

Prenons l'exemple d'une start-up constituée sous la forme d'une société par actions simplifiée (SAS) avec un capital social de 2 000 euros, divisé en 20 000 actions d'une valeur nominale de 0,10 centimes d'euro chacune.

Les fondateurs de la start-up souhaitent lever des fonds rapidement et à moindre coût. Ces derniers trouvent un investisseur prêt à injecter 100 000 euros dans cette start-up fraichement constituée, avec un taux de décote de 20%. La start-up va émettre un BSA-AIR en faveur de l'investisseur dont le prix de souscription sera égal à 100 000 euros. L'exercice des BSA-AIR est conditionné à un événement ultérieur, dans notre cas une seconde levée de fonds. Six mois s'écoulent avant cette seconde levée de fonds. La valorisation de la start-up est estimée à 2,5 millions d'euros pour un investissement de 300 000 euros.

A combien s'élève le nombre d'actions auxquels aura droit l'investisseur AIR ?

Premièrement, il convient de calculer la valorisation retenue pour l'exercice des BSA-AIR. Pour cela, il faut appliquer la décote de 20% à la valorisation retenue à la date de la seconde levée de fonds, soit 2,5 millions d'euros (cette

valorisation tiendra logiquement compte des liquidités apportées par les Investisseurs AIR). En effet, avec la survenance de cet événement ultérieur, Il faut considérer qu'un investisseur en AIR est rentré dans une valorisation inférieure à 20% que les investisseurs qui ont injecté de l'argent lors de l'événement ultérieur. En prix par action, l'investisseur en AIR a donc une plus-value latente de 20%.

Ainsi, la valorisation retenue sera de : 2 500 000*(1-0,20) = 2 000 000 euros.
Deuxièmement, après avoir retenu la bonne valorisation de l'entreprise, il convient de calculer le nombre d'actions de notre investisseur AIR. Le calcul est simple. Il aura le droit à :

(montant de son investissement)/((valorisation retenue/nombre d'actions de la société à sa phase early stage)-valeur nominale de l'action) soit : (100 000)/((2 000 000/20 000)-0,10) = 1 001 actions (arrondi à l'inférieur).

L'investisseur AIR aura le droit de souscrire à 1001 actions pour un investissement total de 100.100,10 euros (soit son investissement initial de 100 000 euros + son prix de souscription des actions de 1001*0,1 euros). Il sera donc bien rentré sur une valorisation pré-monnaie de 2 millions d'euros ((100 100,10/1 001)*20 000).

Pour conclure, le mécanisme des BSA-AIR est un mode de financement de plus en plus utilisé par les start-ups en phase d'early stage. Selon Sacha Benichou, « le mécanisme des BSA-AIR s'est démocratisé depuis sa création. C'est un mécanisme qui permet aux fondateurs de la start-up de mieux encadrer leur marge d'erreur sur la valorisation de leur société en phase de lancement. Il est très régulièrement utilisé par les start-ups sur leurs tours d'amorçage ».

Il est flexible et basé sur un modèle gagnant-gagnant qui (I) permet aux fondateurs d'obtenir rapidement un soutien financier pour continuer à développer leur activité, puisque les réelles négociations ne se feront que dans une future levée de fonds et aux (II) investisseurs de couvrir leurs risques par le taux de décote et la possibilité d'établir un floor et un cap.